PAPA : MON PERE, MON HEROS.

Né le 9 janvier 1919  mon père Louis JOLIVET entre à Saint-Cyr en septembre 1939,
promotion « Amitié franco-britannique ». Sous-lieutenant en mai 1940, il est fait
prisonnier et envoyé en camp en Allemagne (en Prusse orientale) où il passe en captivité les plus belles années d'un homme...celles de sa jeunesse, sa belle jeunesse...derrière des barbelés...

 




A mon père, mon héros

 

Souvenirs, souvenirs, que vous êtes pesants…

En hommage à la victoire de son âme au cours de ces " laborieuses " péripéties de sa vie, aidé par sa foi catholique profonde, nonobstant les aléas en tous genres, soutenu par l’espoir et la force de l’amitié,

Que ces « souvenirs » puissent servir, quoi qu’il arrive, à croire que l’existence humaine ne serve point à rien…
 
 
 



 










 
Reçu à Saint-Cyr en 1939, il appartient à la 126ème promotion "Amitié franco-britannique ".




Promotion 126

AMITIE FRANCO-BRITANNIQUE

Effectifs à l'entrée : Français : 756
Etrangers : 0
Morts pour la France : 163
La France s'est trouvée engagée dans le conflit avec l'Allemagne en Août 1939 aux côtés de la Grande-Bretagne. En raison de cette alliance, la promotion entrée à Saint-Cyr en Octobre 1939, a été baptisée
“Promotion de l'Amitié Franco-Britannique”
Cette promotion a compté pas loin de 800 officiers dont 163 sont morts pour la France.
Parmi les survivants, deux futurs chefs d’état-majordes armées,
les généraux Guy Méry (1975-1980) et Claude Vanbremeersch (1980-1981)


Il est décédé le 9 octobre 1999
 
je tiens ici à lui rendre hommage en publiant le récit de son épopée du printemps 1945...





Index

 
Avant-Propos
« Allemands sont rudes et de grossier entendement, si ce n'est à prendre leur profit : mais à ce sont-ils assez experts et habiles. Item moult convoiteux et plus que nulles gens oncques ne tenant rien des choses au ils eussent promises. Telles gens valent pis que Sarrazins ni païens. »
{ Chronique de Froissart, XIVe siècle)









                                        Listes des oflags et stalags


 

Types de Camps
Dulag ou DurchgangslagerCamp de transit
Stalag ou StammlagerCamp pour les soldats et sous-officiers
Oflag ou Offizier-LagerCamp pour officiers
Stalag Luft ou Luftwaffe-StammlagerCamp Luftwaffe administré par l'aviation et destiné aux aviateurs y compris les officiers
Marlag ou Marine-LagerCamp administré par la Marine et destinés aux marins.
Milag ou Marine-Internierten-LagerCamp administré par la Marine et destinés aux marins des marines marchandes
Ilag/Jlag ou InternierungslagerCamp d'internement pour civils
FrontstalagCamp de prisonniers dans les territoires français occupés

 



Le camp de l'Oflag IV D est situé à environ une lieue de la ville d'Hoyerswerda, prés du petit village appelé Elsterhorst. C'est un camp de baraques, bâti pour l'hébergement des prisonniers de guerre. Les premiers arrivés au camp ont assisté à la construction de la plupart des baraques.
Pour nous, ceux de Nuremberg, nous n'y sommes venus que bien plus tard, lors de la dissolution du XIIl A. Après un excellent voyage en chemin de fer, nous avons débarqué à Hoyerswerda le 14 Septembre 1941, en la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, dans la liturgie préconciliaire.
Notre séjour dans cet Oflag, dont l'effectif a varié de quatre à dix mille officiers prisonniers, s'est prolongé jusqu'au début de 1945. Nous avons en effet dû évacuer le camp devant l'avance russe qui devait aboutir le 31 Janvier à la bataille de l'Oder. Notre départ a eu lieu le Samedi 17 Février 1945 et ce fut le début d'un vagabondage sur les routes saxonnes, dont le souvenir restera, quoi qu'il arrive, pour ceux qui l'ont vécu, un des plus extraordinaires de leur vie.
Pour ma part, j'avais à cette époque l'habitude, en bon routier-scout, de tenir régulièrement mon carnet de route, et j'ai pris suffisamment de notes au fur et à mesure de nos pérégrinations pour être capable d'en faire un compte-rendu assez précis. J'en avais commencé la rédaction au cours de mon séjour à Bunzlau en Mai 1945. Je l'ai poursuivi après mon retour en France pendant l'été 1945. J'ai eu ensuite envie d'y apporter quelques commentaires à l'occasion du 40° anniversaire de notre aventure, c'est à dire en 1985.

 
Mon récit est divisé en trois parties :
 
-     la première partie, " Chez les Barbares ",    correspond à notre
déplacement d'Est en Ouest, d'Elsterhorst à
Benndorf, ce qui constitue la
phase "aller" de notre p
ériple, du 17 au 26 Février 1945
-     la seconde partie, " l'entre deux feux ", concerne notre séjour à
Benndorf du 26 Février au 29 Mars, puis à
Zeithain du 29 Mars au 23 Avril,
date de notre libération par les Russes.
-     la troisième partie, " les chemins de la liberté ", raconte notre
randonnée d'Ouest en Est, de Zeithain à Bunzlau puis à Torgau., c'est à
dire
la  phase "retour" de ce voyage tr
ès spécial !...


















 












 
 

            Ah ! Les enfants d'salauds.

                         (sur l'air de Halli Hallo)




" Veillez, car vous ne savez ni le jour, ni l'heure..."

(Mat. 25,13)

Des spécialistes écriront sûrement plusieurs tonnes sur la psychologie du prisonnier. Mais, sans déflorer leur œuvre, on peut dès à présent signaler que le moral  du P.G. moyen est une fonction exponentielle du communiqué. Au cours de cette longue guerre il a décrit les courbes les plus invraisemblables, qui offrent la particularité curieuse d'avoir des points de rebroussement nombreux.

Après avoir cru être libéré à Noël 1940, le P.G. moyen a été cruellement déçu. Mais en Juin 1941 il s'est de nouveau persuadé qu'il n'en avait plus pour longtemps. Et ce fut une nouvelle déception. Ce qui n'empêche pas que l'automne 1942, avec Stalingrad et ''offensive russe, vit refleurir le sourire éphémère de l'optimiste béat.

Après cela, l'époque des légumes faciles à cuire*(* légumes faciles àcuire : expression utilisée par le capitaine Gousseau pour désigner les nouilles) immortalisa dans nos jeunes mémoires les célèbres leçons de cuisine du capitaine Gousseau*. De mois en mois, ou tout au plus de trimestre en trimestre, un événement saillant de l'histoire militaire influa ainsi sur notre équilibre mental.

Mais, comme on dit, cela, fait passer le temps...

 

Le 12 Janvier 1945 pourtant, l'annonce de l'offensive générale de l'armée russe sur la Vistule*(* le 12 Janvier 1945 les forces russes des généraux Joukov et Koniev attaquent la ligne fortifiée de la Vistule avec une supériorité écrasante et encerclent Varsovie dès le lendemain.) fit monter de façon plus brutale que jamais la fameuse courbe du moral. Les forcenés soutenaient que dans quelques jours tout serait fini avant même que les frisés aient eu le temps de faire quoi que ce soit. D'ailleurs, quelle importance pour eux y avait-il à ce que !es Russes nous libèrent?

Alors tu crois qu'ils vont nous lâcher comme ça ? On leur sert d'otages mon vieux, tu te rends compte de ce que nous représentons ici ? C'est l'élite intellectuelle de la France, oui, parfaitement ! (sourires, bruits divers allant s'amplifiant...) T'as beau rigoler, on verra qui a raison ! " (L’orateur, vexé, tourne les talons et s'en va dignement sous les quolibets).

Les jours passant sans que les Russes ne manifestent encore leur présence aux abords immédiats du camp (moins de 150 km) la plupart d'entre nous finirent par croire que ce n'était pas "la dernière" alerte mais tout au plus "l'avant-dernière". Aussi y eut-il bientôt de nombreux partisans de l'évacuation sans qu'aucun bruit, même officieux, ne se soit fait entendre.

Cela commença par la confection de sacs tyroliens. Bien que nettement en retard dans ce domaine, notre travée, cédant à l'entraînement général, se transforma bientôt en un véritable atelier de couture, et finalement chacun eut son sac, à l'exception de Rivière, fidèle à l'ancien système du sac à bidoche*( sac à bidoche : terme familier pour désigner le sac de couchage du P.G.M Prisonnier de Guerre moyen). On dit aussi sac à viande!) amélioré (?) toutefois par les cartouchières.

Il y eut aussi les chantiers de construction de chariots. Le chariot, dirait Monsieur Larousse est un engin composé de planches de lit* (planche de lit : remplace le sommier dans la couchette du PGM. La planche de lit à unelongueur épie à la largeur de la couchette, une largeur de l'ordre de 10 cm et une épaisseurd'environ 1,5 cm. Accessoirement, la planche de lit peut aussi servir au soutènement des terres lors du creusement de souterrains destinés en principe è l'évasion des PGM épris de liberté !)  et de boîtes de conserves diversement agencées, destiné à porter ce qu'à défaut son propriétaire aurait dans son sac. Par extension, il porte aussi bien d'autres charges, au point qu'il succombe parfois sous le poids d'objets que le propriétaire imprudent ou trop ambitieux se volt dans l'obligation de laisser dans le fossé. Un tel accident favorise l'équi-répartition des richesses i

Pour nous qui ne voulions pas de chariot, l'exercice principal consistait à faire la liste des objets à emporter et à les peser les uns après les autres. C'était à qui en emporterait le plus sous le plus faible poids. Evidemment nos sacs théoriques avalent belle allure et pesaient moins de vingt kilos, fiais, le jour du départ, il en fut autrement... Aussi ces pesées ne nous furent pas d'un grand secours bien qu'elles nous firent apprécier à une juste valeur pas mal de petites bricoles, comme les blaireaux, les brosses et autres impedimenta que nous eûmes parfois le tort de rejeter à cause de leur poids ou de leur volume prohibitif, et qui par la suite nous manquèrent.









Tous ces préparatifs ont bien duré quinze jours.

Pendant ce temps fonctionnait à plein rendement une bourse des échanges concernant le tabac*(tabac : chaque PGM touchait une "ration de tabac" composée de paquets de cigarettes et de paquets de tabac. Pour les non-fumeurs cela constituait une monnaie d'échange) , les vivres et les vêtements. Chacun essayait de liquider le plus avantageusement possible tout ce qu'il savait ne pas pouvoir emporter en cas de départ.

Il y avait ceux qui vendaient tout pour avoir des vivres, ceux qui préféraient du tabac ou autres denrées susceptibles de servir de monnaie d'échange avec les civils sur la route, Il y avait aussi ceux qui ne croyaient pas au départ et qui achetaient des stocks de matériel dive C'est d'ailleurs grâce à ces tendances différentes et contradictoires que les affaires marchaient bien. Pour notre part nous avons peut-être un peu vite liquidé notre tabac, car, si nous avons pu bien nous approvisionner en vivres, nous nous sommes trouvés démunis de cigarettes à un moment où leur valeur marchande était devenue considérable.

Pendant ce temps les Russes étaient parvenus à l'Oder et nous n'avions toujours aucun avis de départ. Je commençai à douter si nous partirions jamais, lorsque la note officielle préparatoire à l'évacuation du camp nous fut communiquée, le 15 Février au soir.


 




 
 
 


Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage

(Boileau, Art poétique - 1,172)

J'étais déjà couché selon mon habitude lorsque vers dix heures je fus réveillé par une activité anormale pour notre baraque tranquille. J'appris ainsi que nous venions de recevoir l'ordre de nous tenir prêts à évacuer le camp à partir du lendemain matin dix heures. Ensuite j'appris que le camp partait en plusieurs colonnes et que nous devions avec le bloc VII et le bloc V faire partie de la première. Le premier réflexe du popotier (*  popotier : les PGM sont organisés en "popotes", c'est à dire en groupes qui se sont constitués par affinités en nombre variable et dans lesquels sont mis en commun les colis de vivres. Grâce à cette méthode, chaque popote peut améliorer son ordinaire, et la charge des menus revient à tour de rôle à celui qui est désigné pour un temps comme "popotier". fut de mettre les fayots sur se feu. Ces fayots, surveillés assez fréquemment par Kerdreux, en proie à une insomnie tenace, étaient à point le lendemain matin.

Notre petit déjeuner fut ainsi suivi d'un lunch copieux.

Déjà, à six heures, j'étais ailé déterrer les boîtes de conserve qui attendaient sous la baraque, suprême réserve-.

Les vivres furent partagés pour qu'en cas d'accident l'un de nous puisse subsister par ses propres moyens. Le peu de temps que nous laissait la confection des sacs et des colis destinés à être stockés à la baraque n°2 après notre départ fut employé selon les ordres à lacérer les vêtements et les chaussures que nous laissions derrière nous. Cette œuvre de destruction, motivée par le fait que les frisés avaient déjà utilisé de semblables occasions pour revêtir l'uniforme français, donnant ainsi lieu à de sanglantes méprises entre Russes et prisonniers français, suscita chez les journalistes nazis de l'endroit une floraison d'articles virulents à l'adresse des vandales que nous étions. Nous eûmes plus tard connaissance de l'un de ces articles qui nous laissa penser que le travail avait été bien fait. Ce travail fut d'ailleurs l'œuvre surtout des camarades des autres blocs qui ne devaient partir que un ou deux jours après nous.









Nous quittâmes nos baraques (* les baraques étaient construites en quelque sorte "sur pilotis», ce qui ménageait en dessous un vide sanitaire d'une hauteur moyenne de 0,75 m, auquel on accédait par une trappe ménagée dans le plancher. et, vers midi, nous étions rassemblés sur "l'avenue du sauvage" ainsi que nous appelions l'allée centrale du camp, pompeusement nommée " Adolf Hitler Strasse ".
Ce rassemblement, comme prévu, traîna en longueur.
Nous fîmes ce jour là connaissance avec les Hongrois. Nous devions être gardés au cours des déplacements par un mélange de Posten et de Hongrois. Ceux que nous avions, habillés de noir, arboraient pour la plupart des mines patibulaires caractérisant en général les gardes chiourme.
La première impression fut pénibleavaient en tête des projets d'évasion, durent en rabattre devant l'air peu engageant de ces citoyens de Buda Pest. Par la suite la situation changea du tout au tout, sauf pour quelques irréductibles dont plusieurs d'entre nous se promirent de régler le compte à la première occasion.
Comme nous étions encore là à quatorze heures, les frisés décidèrent de retarder le départ de vingt quatre heures. Nous regagnâmes donc nos baraques où, Dieu merci, le travail de destruction n'était pas encore achevé. Evidemment, à peine rentrés, nous nous empressâmes de mettre en route le repas du soir qui resta longtemps pour moi le type même du banquet plantureux. 11 faut dire que je mélangeais à ma part de fayots, copieuse à souhait, toute la portion de graisse et de viande de conserve que nous avions touchée des frisés la matin même pour la route î
L'expérience du faux départ nous servit en ce sens que nous fûmes amenés à modifier nos sacs. Certains, et j'en fus, enlevèrent du poids (ils eurent tort pour la plupart, comme le montra la suite des événements), d'autres au contraire ajoutèrent quelques objets supplémentaires. Les modifications de poids furent très peu importantes mais les brêlages furent quelque peu modifiés... Comme nous avions dû mettre sac à terre plusieurs fois, nous avions pu apprécier les systèmes les plus commodes. C'est ainsi que des équipes de deux se formèrent pour faciliter les chargements rapides. Fidèle en principe au sac tyrolien à charge unique, je m'aperçus cependant des avantages indubitables de la musette mangeoire pectorale et de la répartition des petites charges accessoires au ceinturon (pain, bidon). Je me félicitai par la suite de ces modifications de détail, mais j'eus tort de me baser sur ma fatigue du moment pour me décharger de quelques accessoires qui m'ont manqué ensuite. Je pense en particulier à mes spartiates, qui m'auraient permis de défatiguer mes pieds pendant les jours de repos, et à quelques papiers que je regrette .maintenant de ne pas avoir conservés



 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

Il faut partir ...déjà le jour blanchit la plaine

Le vrai départ eut lieu le Samedi 17 Février 1945

L'heure théorique du rassemblement étant fixée à huit heures, nous nous sommes levés vers cinq heures pour avoir le temps de bien casser la croûte.

L'expérience de la veille a servi, et c'est sans incident notable que nous prenons place dans la colonne qui se forme dans la rue du camp, il fait beau et c'est sous de magnifiques auspices atmosphériques que s'ouvre notre randonnée.

A ce point de vue nous serons d'ailleurs favorisés tout au long du voyage. Heureusement, car s'il avait fallu endurer en plus les rigueurs du temps, je ne sais pas si nous aurions aussi bien tenu le coup. Car les jours où il a fait soit un peu plus chaud soit un peu plus froid que d'habitude, nous avons senti la différence, et certains d'entre nous ont même eu ces jours là des coups de pompe assez sérieux.

Au moment où nous sortons du camp, de ce camp où nous avons diversement souffert et d'où nous partons pour l'inconnu, au devant d'épreuves redoutables dans les mauvaises conditions physiques où nous nous trouvons, je ne puis m'empêcher de jeter un regard en arrière. Et cela d'abord au sens propre, certes, car le jour tant désiré est enfin venu où nous voyons derrière nous cet alignement monotone et triste de baraques et ces sinistres rangées de barbelés. Nous y avons vécu pendant quatre ans, certains pendant cinq ans, isolés du monde, véritables morts vivants. C'est le moment de pousser le couplet sentimental et de faire notre panégyrique, en nous égalant aux martyrs qui ont aux diverses époques de l'Histoire jalonné la route, glorieuse mais raboteuse du sacrifice... Mais passons ! D'autres se chargeront de nous tresser des couronnes et de nous jeter des fleurs, contentons nous de rester dans le cadre d'une simple évocation des jours pénibles mais pleins de souvenirs qui ont marqué la fin de notre captivité. Pourtant je dois avouer que, lorsque je vis ce camp m'ouvrir ses portes et que je me dirigeai vers le petit bois qui nous masquait encore la libre nature, j'évoquai tout ce que ces quatre années m'ont apporté.
 
Que serais-je devenu si je n'avais pas été captif ?
Sans doute aurais-je mené une vie active conforme à mes goûts et à mes aptitudes ? Avec un peu de chance j'aurais moi aussi frayé ma route et je serais peut-être aujourd'hui en possession de mon métier, alors que je devrai repartir à zéro en rentrant. Mais pourquoi regretter ? J'ai quand même acquis quelque chose derrière les barbelés. Des amitiés solides d'abord, et qu'y a-t-il de plus utile dans notre existence ? Une formation humaine ensuite, et une expérience que rien ne peut remplacer. Et puis il y a eu la Route, l'Histoire militaire, le cours Chevalier (*le cours Chevalier : le chef d'escadron Chevalier, polytechnicien breveté d'Etat Major, avait créé un groupe d'études tactiques qui dépouillait systématiquement toutes les publications qui arrivaient au camp, il en tirait matière d'un "cours" à l'usage des jeunes officiers pour les tenir au courant de l'évolution du combat des petites unités.) et tant d'autres activités malgré tout assez importantes pour l'avenir.
Est-ce à dire que je vais, à l'exemple du Capitaine Gaudu, ( *capitaine Gaudu : officier de réserve, briochin, ancien combattant de14-18 où il avait été comme aspirant, grièvement blessé à la face, ce qui lui valait son nez rapiécé, poète à ses heures) me féliciter d'avoir été prisonnier et d'avoir connu ces heures inoubliables ?
Prisonnier !
N’être plus qu’une unité qu'on compte.
Un numéro sans grade et sans autorité,
Une chose qui vit et, disons le sans honte,
Qui mange et boit et qui doit se déculotter,
Prisonnier   !  
 Se ronger ainsi qu'un lion en cage
Et, pour calmer sa faim ou pour dompter sa soif
Arpente à grands pas le sol poussiéreux.
C'est  vivre  intensément,  replié sur soi-même,
Et  pour peu que l'on pense
Et pour peu que l’on aime,
vivre, c'est  encore le bonheur,
Non, je dois avouer humblement que je m'associe aux premières images en me désolidarisant de l'homme au nez rapiécé pour ce qui est de l'intensité...
J'ai vécu certes, pendant ces années, mais d'une vie anormale et artificielle, en faisant beaucoup plus de cas des velléités que du vouloir, et en dédaignant par trop j'agir au profit de cogitations d'intérêt douteux. On ne peut pas dire que j'ai perdu mon temps, mais si c'était à refaire, je crois que je me forcerais à plus de travail effectif et à moins d'agitation.
Il n'y a guère qu'au point de vue physique que je puis dire sans paradoxe que la captivité m'a apporté quelque chose de solide. Car j’ai pu me mesurer et me peser, me jauger et me tâter, connaître jusqu'où je puis aller et quelles sont les limites que je dois me fixer. Je laisse de côté évidemment toute la question du domaine spirituel, car elle est si importante que je m'en voudrais de mélanger torchons et serviettes. Je dis simplement que dans ce domaine, ces quatre ans ont sans doute plus de poids pour moi que le reste de mon existence, et que sans la captivité, je n'aurais sans doute jamais eu le temps ni peut-être le désir d'approfondir ma religion et ma vocation.
Une foule de pensées m'assaillent encore, et c'est dans la joie que je longe le sentier qui sépare la porte de l'Aussenlager du petit bois...


Samedi 17 Février
Pedibus cum jambis...
Nous appréhendions beaucoup cette première étape car nous nous rendions compte de notre état physique déficient. Nous avions perdu considérablement du poids et je ne pesais plus que 58 à 59 kilos. Aussi nous fûmes surpris de constater que nous marchions normalement à bonne allure avec un sac très lourd. Le Colonel Leclerc, qui devait plus tard s'illustrer à Benndorf, commandait notre colonne et prétendait s'y connaître en marche, étant lui-même fantassin. De fait, il se mit en tête de nous imposer la méthode dite de "l'heure 50" : cinquante minutes de marche et dix minutes de repos. Les deux premières pauses se passèrent très bien. Tout le monde tenait le coup et la route goudronnée permettait un échelonnement normal sans que les chariots ne gênent trop la marche des biffins intégraux. Quelques kilomètres après le départ, le premier malade tomba dans le fossé. Un de ses camarades resta avec lui et la colonne défila comme si de rien n'était. Il dut sans doute regagner le camp.
Empruntant la route n°96, nous longeons un moment la voie ferrée, puis nous atteignons la région industrielle de Lauta. Nous contournons l'usine - la Lautawerk - dont .nous constatons l'état de non-fonctionnement consécutif au bombardement récent. C'est notre premier aperçu du "cramé" (nous avons ainsi baptisé les vestiges des incendies). Nous sommes assez satisfaits de l'aspect des ruines plus ou moins fumantes ainsi que des entonnoirs presque jointifs mais de faible calibre. C'est également là, prés de l'usine, que nous voyons les premiers barrages anti-char que les Volksturms*(*corps d'auxiliaires composé de réservistes que l'âge ou l'état de santé rendait inaptes aux unités opérationnelles. édifient avec des troncs d'arbres et beaucoup de peine). 



Aucun incident ne se produit avant l'arrivée à l'étape. Nous devons cantonner à Hosena. En principe, la colonne est fractionnée par le Colonel à l’entrée du village, et les différentes fractions sont dirigées sur les cantonnements. Ceux-ci consistent principalement en granges, où de la paille en quantité variable permet de reposer assez bien. Comme nous sommes en queue de colonne depuis le départ, notre groupe se voit attribuer une salle de cinéma avec pour tout potage le parquet nu ; l'espace est très restreint, nous devons y tenir à trois ou quatre cents. De plus, les premiers entrés se sont installés royalement, avec tables et chaises, de sorte que nous nous trouvons sans place, même pour mettre nos sacs. Nous attendons quelques instants, espérant que les chefs de baraque* (*pour les relations avec les Allemands chaque baraque dispose d'un "chef" qui est en généra! l'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé) vont faire une répartition de l'espace vital. Mais en faisant du regard le tour de la salle, nous les avisons, affalés dans un coin, trop fatigués pour faire quoi que ce soit, il faut dire que ces officiers, âgés, portant le sac comme tout le monde, ne peuvent pas, dans l'état physique où ils sont, exercer leurs fonctions de chefs. Aussi décidons nous de chercher une place ailleurs, et nous en trouvons une dans une grange mal éclairée - mais éclairée - et où la paille ne manque pas. Nous devons évidemment faire pas mal de gymnastique pour accéder à nos places, et la sécurité la plus élémentaire exige quelques aménagements divers, comme de boucher les trappes dissimulées sous la paille et par où nous pourrions facilement tomber à l'étage en dessous. Toujours est-il que nous nous installons tous dans un même coin, et, laissant là nos sacs, nous prenons avec nous le matériel de cuisine et entreprenons aussitôt de faire à manger. Nous aurons appris pas mal de choses en captivité, en particulier à faire la cuisine dans de mauvaises conditions. Ce n'était déjà pas drôle au camp, où nous disposions pourtant de quelques récipients et de poêles fabriqués avec des boîtes de conserve. Mais pendant la route nous dûmes nous contenter du feu de plein air et d'un fait-tout, celui-là même que je reçus dans un de nos premiers colis qui aurait mérité lui aussi d'être rapatrié pour être exposé sur la cheminée et servir d'édification aux générations futures ! Le sort des armes en a voulu autrement : il a été porté disparu à l'ennemi sous le bombardement de Zeithain. Me sentant de par mes antécédents scouts tout désigné pour cet office, j'entrepris d'allumer le feu. Je dois dire que si j'ai toujours excellé dans cet exercice, même sous la pluie, j'ai pu constater par la suite qu'il n'y avait pas besoin pour cela d'avoir fait du scoutisme et que les autres se débrouillaient - heureusement - aussi bien !

Pendant ce temps on nous annonce une soupe à percevoir individuellement à une cuisine à l'autre bout du village. Le temps de me retourner, les autres sont partis, sauf Job, qui reste à faire sa tambouille, en l'espèce, des nouilles. Ce qui fait que je gagne par mes propres moyens l'emplacement de la cuisine, me promenant seul dans le village dont j'effectue la traversée avec l'impression inconnue depuis si longtemps d'être mon maître dans un pays civilisé. Il y a des civils, quelques boutiques sont ouvertes encore, et, bien qu'il n'y ait rien aux devantures, je suis tenté d'y entrer, pour voir... Mais je n'en fais rien, et je parviens au lieu de distribution de la soupe, où une louche unique sert pour toute la colonne, soit plus de neuf cents officiers ! De plus, soit qu'il y ait eu des resquilleurs, soit que les premiers aient été trop bien servis, il ne reste plus de sucre quand j'arrive (!) et la soupe d'orge lactée, très bonne, est un peu trop liquide à mon goût. Je regrette presque ma petite virée, lorsqu'au retour, je trouve les nouilles... presque froides. A ce moment il fait déjà pratiquement nuit et nous songeons à prendre un repos bien gagné lorsque nous apprenons qu'on peut faire du commerce avec les civils. Aussitôt Magadur, notre interpréte, muni de quelques morceaux de savon, entreprend de pourvoir à notre ravitaillement. Malheureusement le marché est bouché et nous sommes sur le point de renoncer quand paraît un prisonnier français, qui est lui aussi évacué avec les allemands de sa ferme où il travaille. Comme c'est un breton de pure race, la connaissance est vite faite, et, voyant notre détresse, il va à la boulangerie et en revient avec un magnifique pain de deux kilos. La journée se termine sur cette bonne aubaine, et c'est plein d'un optimisme confiant que nous gagnons notre paille.








En passant sous le porche j'aperçois le toubib, médecin-lieutenant Fontan, déjà assailli de malades dont la plupart souffrent de coliques et de dysenterie, et il n'y a rien de tel pour mettre son homme à plat. On lui demande s'il faut ou non manger-  il déclare que peu importe, mais qu'il faut porter une ceinture de flanelle. Ce n'est pas de ce moment que j'ai compris toute la simplicité de la thérapeutique militaire à laquelle je tiens à rendre tout l'hommage qu'elle mérite et que je citerai certainement encore plus d'une fois au cours de ce récit comme un exemple de tout ce qu'on peut faire avec pas grand chose ou même rien du tout !

Quand nous gagnons nos places sur la paille il fait nuit, il existe une lampe dans la grange à l'étage au dessous et nous décidons de nous y rendre tous. Le déménagement me fait perdre ma paire de moufles de laine. Nous nous couchons enfin et passons notre première nuit vagabonde dans de bonnes conditions.
 
 
Dimanche 18 Février
Chassez le naturel, il revient au galop,
(Destouches, Le Glorieux 111,5)
Bien que ce soit Dimanche, nous ne faisons aucune différence avec les autres jours. D'ailleurs, tant que nous serons sur la route, nous ne saurons ni le jour ni la date.
Le réveil matinal nous trouve reposés et à peine courbatus, mais, dans la paille, je trouve le moyen de perdre mon carnet et mon quart ! Grâce à un hasard extraordinaire je les retrouve au bout de quelques minutes de recherche. Ceci me servira néanmoins de leçon, et, les jours suivants, je m'arrangerai pour avoir toutes mes affaires dans mon sac ou dans des poches pouvant se boutonner i
Notre petit déjeuner se compose de café noir non sucré, auquel nous ajoutons sur nos réserves personnelles un peu de sucre, et un sandwich au pâté américain ou à la confiture solide. Pendant ces étapes nous marchons au sucre. J'en ai toujours quelques morceaux dans ma poche et j'en croque de temps en temps. Au début le pain ne nous fait pas défaut car notre ration de route est théoriquement de 500g par jour. En fait nous avons touché cette ration les trois ou quatre premiers jours. Par la suite le ravitaillement se fera plus irrégulier et il nous arrivera même de partir le matin sans avoir rien touché. Mais nous n'en sommes pas encore là...
Nous nous mettons rapidement en colonne, mais nous devons stationner un bon moment à la sortie du village, derrière la gare, le long de la voie ferrée. Nous y sommes comptés. Ces histoires de compte ont toujours été ridicules et je reste persuadé, que pas plus au départ qu'à l'arrivée les Allemands n'ont jamais su combien nous étions. Pendant que nous stationnons nous entendons un chœur de jeunes filles donner une aubade fleurie à un train de soldats en partance pour l'Est. Il y a aussi des wagons de matériel comportant des chars légers et des canons de DCA et de DCB. Nous sommes surpris de voir l'état de ces engins qui contraste avec le souvenir de nos visions de 1940 : c'est du matériel fatigué et on voit qu'il n'est plus entretenu. Tous les canons sont recouverts de boue séchée. Beaucoup ont des pièces très rouillées et les chars donnent l'impression de ferraille. Les soldats eux-mêmes ne sont plus les fiers guerriers qui nous capturèrent jadis. Ils sont pour la plupart sales et déguenillés. Leur mine est hâve et leurs traits sont tirés. Cinq ans de guerre ont transformé la belle armée de la campagne de France en une bande de va-nu-pieds assez lamentable.
Vers neuf heures nous démarrons et nous gagnons assez rapidement le village de Hohenbocka où nous faisons halte et où nous trouvons de l'eau. Il fait une bonne température mais le soleil commence à chauffer et nous nous débarrassons de nos cache-nez et de nos chandails.
Dès la sortie de Hohenbocka la route pénètre dans un bois assez touffu et se transforme rapidement en une piste forestière pleine d'ornières ensablées et quasi impraticable pour les chariots. La colonne s'étire considérablement, et comme nous sommes cette fois en tête de la deuxième partie de la colonne, nous venons constamment buter dans la queue de la première partie, ce qui provoque des à-coups très fatigants pour le marcheur pédestre. Alors que la veille, sur la route goudronnée, tout le monde marchait régulièrement à bonne allure, aujourd'hui les chariots ont beaucoup de mal et doivent faire route chacun pour soi. Les haltes horaires, que les piétons continuent à respecter, n'existent plus pour les chariots qui profitent des pauses pour remonter la colonne et gagner du temps en prévision d'un accident. Cela occasionne une belle pagaille et tout le monde rouspète...
La traversée du bois dure jusqu'à Gutehorn où nous faisons encore une petite halte, et elle reprend aussitôt après dans des chemins encore plus difficiles. On commence à voir des équipes s'arrêter au bord du chemin pour réparer les avaries. Nos gardiens, qui suent aussi, ne sont pas très virulents, sauf quelques uns, vite repérés. L'Interprète allemand, un grand sous-officier à moustaches qui circule à vélo, en entend de vertes chaque fois qu'il remonte la colonne. L'officier allemand qui est en tête de notre fraction, un type assez apathique et très sanguin, fume sa pipe tranquillement sans se soucier de nos récriminations. Nous voudrions en effet faire une grande halte pour laisser la colonne de tête prendre du champ, de manière à pouvoir ensuite marcher sans ces à-coups, mais il ne veut rien savoir. Nous fatiguons beaucoup. Nous traversons quelques villages agricoles perdus dans les bois : Herrnsdorf, Jannowitz, Kroppen. Ce sont tous des vlllaqes-rues : les habitations, des fermes pour la plupart, ont une façade avec une entrée principale sur la rue unique du village ; par derrière on distingue les communs, les étables et les granges, qui donnent directement sur les champs. Beaucoup de volaille : des oies, des canards, des pigeons, des poules naturellement en quantité. Mais, dans l'ensemble, pays d’ élevage assez pauvre. Terre trop légère, beaucoup de landes.
Après Kroppen nous traversons la voie ferrée et nous gagnons les lisières nord-ouest de la ville d'Ortland que nous croyons être le terminus de l’étape, en réalité nous n'entrons pas dans la ville dont nous ne faisons que traverser un faubourg, et nous sortons, assez inquiets sur le lieu de notre cantonnement car il est déjà tard. L'étape a été longue, nous avons marché lentement dans les bois et nous sommes en retard. Au sortir de la ville nous voyons de chaque côté de la route, maintenant très belle, de grandes prairies où nous tremblons un moment de passer la nuit. Cependant nous avançons toujours et nous passons sous l'autostrade Berlin-Dresde. Nous grimpons une petite côte et nous découvrons avec soulagement une série de petits villages à peu de distance. Comme la veille, la colonne est fractionnée à l'entrée du village et nous sommes dirigés, avec un contingent de neuf cents, dans une grosse ferme où deux granges, sans lumière cette fois, nous sont attribuées.
Hier nous avions paille, lumière et eau (trois robinets dans le jardin). Cette fois pas de lumière, peu de paille, et pas d'eau, sauf celle du ruisseau qui coule dans la cour de la ferme. On peut s'y laver, mais pour faire la cuisine, rien à faire. D'ailleurs il est tard, nous sommes fatigués et assez mal installés. Nous décidons de profiter au maximum de la nuit, et aussitôt après avoir touché notre ration de soupe - une louche de flocons d'avoine assez consistante - nous nous couchons...
Nous avons su par la suite que tout le monde ne nous avait pas imités. La ferme était dirigée par une allemande, mais, en l'absence des hommes, la main d'œuvre était fournie par des polonaises. C'étaient elles qui nous avaient fait la soupe. Or, elles étaient d'un physique agréable !... L'abbé Cambier, ayant envie de dire sa messe, se mit à la recherche d'un petit coin tranquille, et, comme par hasard, tomba en plein sur celui qu'avaient choisi avant lui quelques camarades impatients de contrôler l'efficacité d'une virilité depuis si longtemps en veilleuse... Devant le spectacle de ces croisements internationaux, notre curé battit en retraite, à la fois scandalisé et désespéré de voir le peu de résultats qu'une prédication pourtant véhémente avait obtenu au bout de cinq ans !
Je ne connais pas toutes les suites de l'aventure, mais je sais que le lendemain quelques uns quittèrent la ferme la musette bien garnie de lard et de bon pain. Aussi, dans les circonstances que nous traversions, nous nous gardâmes de nous en tenir à un jugement rigoriste, et, ma foi, nous pensâmes que c'était peut-être une solution à envisager dans les cas désespérés... Je dois ajouter que nous n'avons jamais dû aller jusque là !


Lundi 19 Février

L'habitude est une seconde nature...

Il y a des manquants au départ ce matin : le chef de bataillon Le Bras, le capitaine François, le couple Daniélou-Harburger*(*il ne faut pas voir dans le terme de "couple" que j'utilise à propos de ces deux camarades une allusion de quelque nature que ce soit ! Mais ces deux PGM ne se quittaient jamais et formaient d'ailleurs une popote à eux deux) rien que pour notre baraque. Nous sommes nous-mêmes assez fatigués par l'étape d'hier, mais nous pensons qu'une fois échauffés cela ira mieux. Les pieds ont bien tenu le coup. Ce sont les muscles qui sont trop durs. Mes points sensibles sont le genou (déjà!) et la tête du fémur.

Enfin, après le rituel matutinal, nous nous rassemblons et nous partons. On traverse Gross Kmehlen où une partie du détachement a semble-t-il cantonné, puis nous nous engageons sur la route de Grossenhain.

La route est meilleure qu'hier, bien qu'en certains endroits assez raboteuse. Le parcours en tout cas est très accidenté. La région que nous traversons est monotone et les croquis panoramiques sont très simples : amples vallonnements de pénéplaine, quelques moulins à vent. Toujours des villages-rues : Blochwitz, Folbern. Avant d'atteindre ce dernier village nous sommes témoins d'un fait curieux : au passage à niveau qui se trouve là, le train s'arrête pour nous laisser passer !...

Nous faisons route depuis le départ du camp avec des colonnes de réfugiés allemands. Aujourd'hui, en traversant les bois de Raschitz, nous doublons un convoi dont tous les occupants ont mis pied à terre ; la carriole est arrêtée, le cheval est mort d'épuisement... Tous ces gens sont désemparés, mais nous pensons au calvaire de la pauvre bête et à la somme de travail qu'elle a dû fournir pour en arriver là. Pour moi le récit de Saint-Exupéry dans "Terre des Hommes" me revient à la mémoire : " ce que j'ai  fait  aucune  bête  ne  l'aurait  fait ", L'homme est le plus solide des animaux, non à cause de ses muscles mais de sa volonté.
Après Folbern nous longeons une rivière très propice au lancer léger. Puis nous entrons à Grossenhain : c'est une grosse ville très propre et assez bourgeoise. Après quelques détours nous arrivons en vue d'une caserne qui me fait penser à l'Ecole de Cavalerie de Saumur mais en plus grand et en plus moderne. Notre colonne longe en effet des écuries et .des carrières avant d'arriver devant de grands bâtiments très modernes. Nous nous réjouissons déjà de coucher dans des dortoirs aménagés et nous regardons d'un air faussement détaché les évolutions des amazones dans la carrière... Car ici il n'y a que des écuyères. Certaines, paraissant avoir un certain âge, font du dressage sous la surveillance d'un vieil officier à monocle, très représentatif du type classique de l'officier de cavalerie allemand. D'autres, toutes jeunes au contraire, font de l'école de conduite sur des breaks et même des fourragères. Quelques sous-officiers semblent avoir la haute main sur tout cela, ils considèrent en tout cas les biffins qui nous servent de gardes du corps comme de la petite bière, car les traditions dans la cavalerie sont les mêmes dans toutes les armées du monde !
Après une attente assez longue pendant laquelle les officiers allemands chargés de notre colonne parlementent avec les cavaliers pour obtenir un cantonnement : on nous dirige derrière le grand bâtiment vers un manège*. Toute la colonne doit y passer la nuit. Coucher sur la sciure humide ne nous sourit guère mais il faut bien y passer. Personnellement j'ai souffert toute la journée d'une fluxion et je suis assez fatigué. Quand je me vois dans la grande glace du manège avec ma figure enflée, je m'effraie moi-même. De plus je me sens fiévreux, et, de fait, en prenant ma température, je m'aperçois que j:ai 38°6. Je vais faire un tour au toubib, mais devant l'affluence des éclopés, et dont certains sont mal en point, je me retire. Pour le moment nous sommes bloqués dans le manège. C'est paraît-il le plus grand d'Europe et je n'en ai jamais vu de pareil : il fait bien 150 métres de long sur 50 de large : il est très haut de charpente et celle-ci est métallique. Très bien éclairé par d'immenses baies vitrées, le manège est décoré tout, autour par des fresques immenses représentant soit des champions contemporains en action, soit les différentes positions correctes aux trois allures, soit enfin quelques scènes humoristiques. Le pare-bottes en bois est très haut. Il n'y a pas de tas de sciure dans les coins, il n'y a pas non plus de piliers ni de matériel d'obstacles, il semble bien uniquement destiné au galop ou aux reprises d'écuyers.
Devant l'impossibilité de sortir, beaucoup de camarades décident de faire du feu à l'intérieur du manège et de faire leur cuisine ainsi. Le combustible est fourni par tout ce qui est en bois. Au bout de quelques minutes l'atmosphère est irrespirable malgré les dimensions du manège. Nous pouvons enfin sortir, et les feux à l'intérieur disparaissent. Les abords immédiats où nous pouvons aller consistent en un robinet à petit débit où il faut faire la queue pour avoir un peu d'eau et en feuillées que des prisonniers russes viennent de creuser. C'est la première fois que nous voyons des Russes. Ils nous apparaissent sous un jour sympathique, mais nous nous heurtons avec eux au mur de l'incompréhension, impossible d'attribuer un sens à leur jargon. Nous leur donnons des nouvelles, de l'avance russe. Ils semblent ignorer le nom du Maréchal Koniev mais sont très contents de savoir que la fin approche, ils sont d'ailleurs assez fatalistes et attendent avec patience le dénouement.
L'officier au monocle trônait pendant ce temps dans le poste de police où plusieurs affiches murales rendaient compte des Jeux Olympiques qui avaient eu lieu à Berlin en 1936. Le capitaine de Rohan-Chabot, qui était parmi nous, avait participé à ces Jeux et y avait même gagné la médaille d'Or d'une des disciplines d'équitation. A ce titre le chancelier Hitler lui avait serré la main. Notre ami en fit part à l'officier au monocle et lui montra la photo qui relatait ce fait ; son interlocuteur, très impressionné, se mit au "garde à vous" en claquant des talons et salua gravement - en portant la main droite à la visière de sa casquette et non pas en tendant le bras à la mode nazie - et il déclara : " je n'ai pas eu cet honneur ".
La nuit est déjà proche quand on nous annonce la soupe : elle est à la fois abondante et excellente, aussi nous présentons-nous pour le rab ; dans notre honnêteté nous prévenons les gens qui arrivent encore à la fin de la queue que nous avons déjà eu de la soupe ; mal nous en prit, car tout le monde n'eut pas cette délicatesse et finalement tout le monde passa devant nous !... Ce qui est pire c'est que certains reprirent aussi des boîtes de conserves, ce qui eut pour résultat de frustrer une vingtaine de camarades de leur ration. Toujours est-il que, nous présentant dans les derniers, nous eûmes une ration énorme de soupe, lactée et sucrée, qui nous fit le plus grand bien.
Ce qui fait que c'est presque repus que nous nous allongeons sur la sciure pour dormir. Avant le couvre-feu l'alerte est donnée, nous sommes donc privés de lumière avant l'heure. Certains, surpris avant d'avoir terminé leurs préparatifs, allument des allumettes ou des torches, ce qui soulève un tollé général, car les Allemands ont la gentille habitude d'éteindre ces lumières à coups de pétoire, et personne ne tient à se faire démolir le portrait.
Aussi, ce soir là c'est parmi les cris de " à l'assassin " et " au fou, arrêtez-le " que je m‘endors, en espérant que ma fluxion se résorbera dans la nuit.





















Mardi 20 Février

Trans Rhenum Germani incolunt...

(Tacite,  Histoires)

C'est avec un soupir de soulagement que nous évacuons ce matin le fameux manège qui restera célèbre dans les annales de notre randonnée. Pour ma part j'y ai passé une des meilleures nuits de la route, mais beaucoup n'y ont pu dormir. Certains n'ont pas voulu s'allonger sur la sciure humide et sont restés assis. D'autres, pour ne pas risquer de s'endormir, ont passé la nuit à faire du thé et à boire.

La température est aujourd'hui nettement plus forte que les jours précédents. Comme la route est de plus en plus accidentée et que c'est le quatrième jour que nous marchons, la fatigue se fait sentir. Pour comble de malheur nous faisons maintenant route dans un pays assez hostile, la Saxe, et les habitants poussent quelquefois la barbarie jusqu'à refuser de nous donner de l'eau à boire.

Plusieurs incidents ont eu lieu durant l'étape.

A Wildenhain, où nous avons fait halte, un enfant par nous sollicité nous apporte un seau d'eau : survient sa mère qui commence par nous traiter de Schweinerei* (*injure que l'on peut traduire approximativementpar "bande de cochons"...), flanque une tournée au gosse et renverse le seau par terre. Pourquoi aurions-nous aujourd'hui pitié d'elle si sa maison a cramé et si les Russes l'ont violée ? Quand nous passons à Graubitz il fait déjà très chaud et nous essayons de nous ravitailler en eau. Certains y parviennent mais d'autres se voient refuser l'eau par les femmes. Les gosses eux-mêmes semblent nous narguer. Beaucoup d'entre eux ont le poignard au côté et la croix gammée au bras.

A Zeithain des femmes veulent bien nous donner accès à leur pompe et nous aident à remplir nos bidons : mais survient alors un vieux tout blanc, coiffé d'un bizarre petit chapeau à plume et armé d'une canne qui se met à vitupérer dans sa langue si harmonieuse et prétend interdire aux femmes, de nous donner à boire. Celles-ci ne semblent pas s'émouvoir d'ailleurs, mais le vieux est furieux et gesticule encore longtemps après notre passage...

 
C'est là qu'un Hongrois m'a donné son quart de jus à boire, voyant que je ne pouvais pas me procurer d'eau dans !e pays. De pareilles scènes ne sont pas près de s'effacer de notre mémoire, et les Saxons peuvent compter sur nous pour répandre partout où nous irons le récit des traitements inhumains qu'ils nous ont infligés.
Nous avons traversé ces régions à nouveau après notre libération par les Russes. Devant le spectacle des villages détruits, des silos ouverts, des caves pillées, des femmes violées et des hommes déportés ou fusillés, nous avons pensé à la Justice immanente... Le Glaive de Dieu s'est abattu, laissez passer la justice du Roi !
Après Zeithain l'étape se fait vraiment pénible. Chez nous Job accuse nettement le coup. La chaleur, la soif, sa poussière, et cette route interminablement droite, finissent par nous accabler. Nous traversons l'Elbe au pont de Riesa que les Allemands sont en train de miner. Ce pont nous semble d'une longueur démesurée. L'Elbe n'est pas défendue militairement si ce n'est par des Panzerfaust embusqués dans des trous individuels. D'ailleurs les abords du fleuve sont plats et les barrages qui sont établis sur quelques routes ne sont d'aucun intérêt par suite des facilités que présente le terrain à la progression des chars.
Après la traversée dû pont on nous impose celle de la ville. Nous n'en finissons plus de tourner, de longer des avenues et des rues. La ville semble pleine de militaires aux uniformes variés et dont beaucoup sont éclopés. Nous passons à coté de casernes, mais nous ne nous arrêtons pas. Enfin, après un parcours de plusieurs kilomètres, qui furent pour certains d'entre nous un dur calvaire, nous pénétrons dans la cour d'un quartier d'artillerie motorisée, il est déjà tard mais on nous annonce que nous ne faisons que toucher la soupe ici et que notre cantonnement est encore à huit kilomètres ! C'est un coup dur pour le moral... Nous sommes véritablement sur les genoux. Néanmoins nous cassons la croûte et nous allons toucher la soupe qui, heureusement, est bonne. C'est là que Bébert tombe dans les pommes, aussitôt imité par deux ou trois autres. GrésilIon s'appuie sur moi pour ne pas en faire autant. C'est le passage de l'air libre à l'atmosphère de la cuisine qui est fatal. Après avoir mangé la soupe nous retournons au rab mais nous n'en avons pas. Nous n'insistons pas, trop fatigués pour refaire la queue encore une fois. Je vais voir le toubib pour essayer de mettre le sac de Job sur la voiture. Il me déclare que, vu le nombre de camarades fatigués, il va essayer de prendre une mesure générale. En effet, on nous annonce que seuls ceux qui se sentent capables de marcher encore pendant huit kilomètres rejoindront le cantonnement prévu, les autres passeront la nuit dans un cantonnement de fortune à Riesa et feront le lendemain une petite étape de huit kilomètres au lieu d'avoir un jour de repos complet comme prévu. Nous décidons de partir le soir même, sauf Job qui est avec les malades. Nous partons alors qu'il fait déjà nuit et nous trouvons cela très agréable. A peine avons-nous fait quelques centaines de mètres que Job nous rejoint, n'ayant pas voulu risquer de passer la nuit à la belle étoile! Il parait en effet que rien n'était prévu pour les malades, et en fait ils passeront la nuit dans un hangar ouvert à tous vents et dont une partie du toit manque. Comme ils sont trois cents ils n'ont guère de place. Pour comble d'infortune il pleuvra la nuit et ils devront encore se resserrer sous l'averse qui tombe du toit percé. En somme, ils ne pourront pas dormir. Quand on songe que ce sont des malades à qui les allemands ont infligé ce traitement après bien d’autres exactions, on ne peut plus avoir pitié des colonnes de prisonniers qui défilent a présent sous nos fenêtres et qui pourtant ne sont pas beaux à voir*(*ceci a été écrit, je le rappelle, à Bunzlau ers 1945)
Pour nous, maintenant au complet, nous sommes très en forme pour cette marche de nuit. On apprend de plus que nous ne ferons pas huit kilomètres mais seulement trois, une ferme ayant accepté de nous héberger à la sortie du village de Pausitz.
La traversée du village est marquée par un incident assez cocasse et propre à édifier la postérité sur les mœurs des femmes allemandes ! Un groupe de jeunes filles précédait de peu notre colonne en jacassant, lorsque l'arrivée d'un convoi militaire de quelques camions les força à se ranger sur le trottoir. Au lieu de le faire calmement, elles se mirent à pousser des cris perçants et s'égaillèrent dans nos rangs en recherchant le contact... L'une d'elles se jeta même dans nos bras, la poitrine en avant, et le camarade qui encaissa le choc affirma en avoir eu plein les mains !.... Ceci n'a rien d'étonnant, nous en avons appris bien d'autres depuis...
Au sortir du village de Pausitz nous prenons un sentier qui nous conduit devant une grange immense dont une extrémité est occupée par un tas de paille. Nous occupons les lieux et, grâce à la lumière qui existe, nous pouvons étendre la paille par terre. Nous nous couchons très tard mais dans de bonnes conditions et avec la perspective souriante d'un jour de repos bien gagné : il y a bien quelques rouspéteurs, il y a aussi les pieds fatigués, mais nous sombrons aussitôt dans un sommeil d'une profondeur certainement insondable comparable seulement avec le degré de barbarie des Allemands que nous portons ce soir là particulièrement dans notre cœur...

 
 
 
 









Mercredi 21 Février

Après l'effort, le réconfort!

 (locution proverbiale)

Bien que nous ayons envie de faire pour une fois la grasse matinée, le souci de faire la cuisine nous sort des couvertures dès sept heures et demie environ, sauf pour les plus fatigués qui resteront la plus grande partie de la journée sur la paille. Le temps est désagréable, il pleut, et le sol argileux est transformé en boue. Nous sommes dans une ferme dont le propriétaire ou le gérant est du Parti. C'est ce qui explique qu'il y a encore quelques hommes. Un prisonnier français qui travaille aux champs nous dit même que le propriétaire est mort sur le front de l'Est et que le parti a adjoint à sa veuve un intendant qui fait son petit chef. Toujours est-il qu'il nous refuse de nous donner accès au point d'eau. Notre seul recours sera d'aller en corvées organisées à l’étable où il y a une pompe. Nous ne savons pas si l'eau est potable, mais, comme elle ne sert qu'à la toilette ou à la cuisine pour faire la soupe ou des boissons chaudes, peu importe au fond.

Dès le matin nous installons un feu dehors avec des cailloux. Les sentinelles font d'ailleurs quelques difficultés, prétendant que le Bauer ne veut pas de feux. Le fait est que, vers dix heures, un énergumène arborant un superbe insigne à croix gammée fait retentir la campagne environnante de ses éclats de voix. Après avoir copieusement interpellé la sentinelle qui n'en peut mais, il prétend aller chercher l'officier allemand pour lui faire enlever les feux. Nous assistons à une engueulade en règle. Ce n'est pas la dernière. Mais nous tenons ferme nos positions et nos feux.

J'ai compris ce jour là le campisme. Faire du feu sous une pluie battante avec du bois vert ou mouillé, c'est du sport ! Mais faire sur ce même feu la cuisine pour un groupe de sept jeunes gens affamés, c'est une vraie gageure... Pourtant nous avons fait ce jour là du jus le matin en une heure, y compris l'allumage, puis des haricots plein la galtouse, puis du jus pour midi, puis des patates en quantité industrielle pour le soir, et encore du jus ! Nous avons bien mangé et nos malades avaient pour le soir repris du poil de la bête. Nous n'avons pas lésiné sur les patates car elles provenaient du silo de la ferme. J'avais bien repéré la veille au soir ce grand tas de terre et de paille qui s'étendait devant la grange, mais nous étions las, et ma proposition de monter une expédition n'eut pas de succès. Le lendemain au contraire, pendant que je faisais cuire les fayots, les autres se débrouillèrent pour soutirer des réserves du grand Reich quelques kilos de pommes de terre. Ce légume divin, comme chantait notre poète*(*il s'agit bien entendu du capitaine Gaudu qui écrivit un poème à la gloire de la pomme terre et de Parmentier, son "inventeur'") fut vraiment une bénédiction pour nous, non seulement à l'aller mais même au retour, et à l'heure actuelle il forme encore la base de notre alimentation. 
Un épisode saillant de cette journée fut pour moi la douche que je pris sous la gouttière pour procéder à ma toilette. Je pus aussi me raser, ce qui ne m'était pas arrivé depuis le départ ! Ainsi, du triptyque routier eau-air-soleil, j'eus au moins les deux premiers termes.

Nous avons appris par la suite que le propriétaire de la ferme était en prison et non pas mort sur le front de l'Est comme nous l'avions cru la veille, et que sa femme était sous la coupe du Parti qui la faisait surveiller par un intendant nazi.

0 beautés du régime national-socialiste !...





Jeudi 22 Février

Oui, je viens dans Son temple adorer l'Eternel.

(Racine,  Athalie,  Acte 1  scène 1)

La journée de repos n'en fut pas une pour moi. Mais dans la paille de la grange modèle je dormis comme un bienheureux et c'est, frais et dispos que je me réveillai  le lendemain matin.

Nous reprenons notre marche vers l'Ouest. Après quelques kilomètres de route goudronnée nous bifurquons dans un chemin de terre et c'est une nouvelle épreuve pour les pauvres chariots. Nous atteignons enfin Naundorff où nous retrouvons la bonne route. C'est le moment que choisissent plusieurs chariots pour lâcher leurs propriétaires. Nous assistons là à quelques curées, dont celle d'un lieutenant-colonel qui voit partir avec désespoir sa réserve d'oignons et de farine ! Le spectacle est un peu écœurant car beaucoup de pillards n'attendent même pas que les malheureux sinistrés soient partis pour se partager leurs dépouilles et il faut même que le pauvre colonel intervienne pour sauver ce qui lui restait de chocolat...

Nous arrivons le soir à Mügeln où un certain nombre d'entre nous trouvent asile dans un cinéma. Quant à notre popote, elle fait partie d'un autre détachement qui continue jusqu'à Altmügeln où les autorités locales nous font généreusement don du temple. Ce temple, muni de stalles inamovibles, n'a jamais été prévu pour coucher qui que ce soit. Néanmoins nous réussissons à nous installer tant bien que mal et plutôt mal que bien.

A peine y sommes-nous que nous assistons à un spectacle peu banal : au milieu de gens couchés sur le moelleux tapis qui couvre tout le chœur se dresse un autel où trône une Bible aux proportions respectables ; de chaque côté une petite table, destinée sans doute à recevoir les offrandes comme dans le temple de Salomon. Sur chacune de ces tables un prêtre catholique dit sa messe sous l'œil paternel de Luther qui, du haut de son portrait gigantesque, contemple la scène sans rien dire, et pour cause !

Tout autour du temple les murs portent des couronnes funèbres à la mémoire des enfants d'Altmügeln tombés au champ d'honneur pour leur Führer et leur Vaterland. Nous en comptons 94 ce qui n'est pas mal pour un aussi petit village.

Une rivière coule en bas de la montée au temple. Une minoterie y est installée où nous trouvons moyen de chiper un peu de farine et de mouture. Le commerce avec les habitants ne rend pas si ce n'est dans la soirée où Magadur, toujours à l'affût, nous procure une potée de lait où nagent quelques grumeaux de je ne sais quel produit, mais c'est bon quand même.

Ce soir là nous avons fait notre cuisine au cimetière parmi les tombes. Nous avons démoli quelques entourages en bois pour faire le feu. D'autres ont été contraints d'utiliser ce lieu de repos pour satisfaire leurs besoins naturels, en sorte que le pauvre pasteur de l'endroit n'a cessé, paraît-ii, de fulminer contre ces cochons de Français qui ne respectent même pas les morts ! C'est ainsi qu'on écrit l'Histoire...Mais comment faire autrement ? Nous étions mille cinq cents enfermés dans le temple et son cimetière, et il fallait bien se déculotter quelque part I

La concierge du cimetière sut tirer parti de la situation en vendant au prix fort un stock de patates du voisinage sous l'œil paterne du Hongrois de garde qui touchait une commission !

Il fut question un moment d'aller chercher la soupe au village voisin. Finalement ce fut la minoterie qui servit de cuisine et nous n'eûmes qu'à traverser la route. La femme qui servait la soupe refusa de nous donner du rab alors qu'il en restait pas mal. Elle a dû nourrir ses cochons avec notre ration i Ceux du village voisin vinrent du cinéma en corvée chercher leur soupe. Ils furent chemin faisant attaqués par des inconnus qui barbotèrent la soupe, et nos camarades l'attendirent vainement ce soir là.

La nuit fut franchement mauvaise à cause de l'impossibilité de s'allonger, même par terre. Car les stalles étaient disposées de telle sorte qu'on ne pouvait utiliser ni le banc ni le prie-Dieu ni l'intervalle entre les deux. C'est certainement de ce temple que je garde le plus mauvais souvenir du voyage.

Naturellement il n'y avait pas d'eau. Comme nous ne pouvions pas sortir pour en chercher, il a fallu recourir aux enfants du village qui nous rapportèrent nos récipients remplis. C'était d'ailleurs une belle pagaille, car, pour se reconnaître dans cette foule, c'était toute une histoire, et il y a eu bien des "rnégardes".
 Enfin, dernier détail, nous nous sommes éclairés grâce au lutrin qui était muni d'une puissante ampoule, remplaçant probablement le chandelier à sept branches de l'Ancien Testament




Vendredi 23 Février

Tout royaume divisé contre lui-même périra  
(Luc 11,17)

L'étape d'aujourd'hui a été dure, car, à la longueur elle joignait la difficulté : terrain très accidenté, mauvaises routes malgré la carte.

Nous atteignons la vallée de la Mülde que nous traversons. C'est une rivière importante au cours capricieux mais très agréable et qui semble favorable à la pêche... Les berges sont pittoresques et attirent le campeur. Le canotage doit y être passionnant à cause des quelques rapides qu'on trouve sur le cours.de la rivière. De nombreux moulins s'alimentent à cette eau vive et transparente qui laisse deviner un fond de sable et de cailloux.

De chaque côté les coteaux sont couverts de forêts et encaissent une vallée verte et riche où des villages importants s'étalent au bord de l’eau. Nous nous arrêtons à Marschwitz, un de ces villages que l'on découvre soudain derrière un vallonnement au confluent d'un petit ruisseau. Nous ne descendons pas au village même, mais nous restons sur la hauteur dans une grosse ferme. Le fermier est un ancien officier du Kaiser ; il se présente très correctement au colonel et propose de nous faire a manger, il a des patates et quelques légumes, du lait frais et une installation permettant de faire de la soupe rapidement à tout le détachement.

L'officier allemand refuse et nous assistons à une prise de bec entre la nouvelle armée et l'ancienne.

- " De mon temps on savait se conduire envers les officiers français "   conclut notre vieux bonhomme, qui s'en va dans la cour bavarder avec les hôtes de sa ferme.

Il paraît qu'il aurait dit pas mal de choses, mais il faut toujours se méfier des bobards. Ce qui est certain c'est qu'il a prétendu être antinazi et qu'il a annoncé que le parti n'était plus suivi par les Allemands depuis Stalingrad. Il a dit aussi que c'était Himmler qui était le vrai patron et qu'il tenait les rênes grâce à la police d'Etat.

Là nous avons fait du feu dans la cour. J'ai cassé la lame de mon couteau en fendant du bois. Je l'ai ensuite perdu car la poche de ma vareuse était percée. Nous avons mangé sur le timon d'une charrette en guise de table et nous nous sommes couchés de bonne heure. J'ai essayé de faire du commerce avec les femmes polonaises de la ferme mais elles étaient idiotes et il n'y avait rien à en tirer.

Des silos de pommes de terre nous tentaient derrière la grange mais nous étions trop fatigués ce soir là pour monter une expédition. Nous avons eu une soupe quand la nuit tombait mais personne n'est resté attendre le rabiot car les jambes flageolaient et le temps fraîchissait. C'est là que Doussot s'est foulé la cheville et que Villain a lâché. Ils ont été très bien soignés par le fermier et ont pu rejoindre la colonne à Benndorf où ils nous contèrent leur odyssée.

Un travailleur français charriait du fumier mais ignorait tout de la situation et ne savait pas le premier mot du communiqué. Il était gras à souhait et paraissait en excellente santé. En dehors du menu du prochain repas rien ne semblait l'intéresser si ce n'est les appas d'une petite Polonaise, qui, de son côté, appréciait ses robustes épaules...

Encore un qu'il a sans doute fallu aller chercher de force, à moins qu'il ne soit toujours là-bas !...
 
 
 
Samedi 24 Février
Si le pardon est possible, l'oubli ne peut l'être.
(Nacht und Nebel)
Nous commençons ce matin à en avoir marre. Mais il faut partir encore. Nous marchons dans la boue du chemin tortueux qui traverse une nouvelle fois la vallée. Boue - des montées et des descentes - des à-coups terribles à cause des chariots et des traînards, car aujourd'hui il y en a. Kerdreux lui-même rame lamentablement, d'ailleurs il devra ce soir abandonner avec 39 de fièvre.
Enfin Colditz et ses pavés. Nous voyons ce fameux château qui sert de camp à nos camarades «de l'armée de Gaulle ». Certains d'entre nous y retourneront d'ailleurs dans quelques semaines pour y attendre les Américains et la forteresse volante qui les ramènera un mois avant les autres.
Nous traversons la ville sans nous arrêter. Une autre colonne s'y arrêtera et devra passer une nuit entière sous la pluie battante en attendant que s'ouvre la porte de leur nouvelle prison. Pendant ce temps la population manifeste ses sentiments haineux.
Nous pillons au passage un silo. Hélas, c'étaient des choux-raves. Mais nous les mangeons tels que, en tranches crues. C'est rafraîchissant. Ce soir nous en ferons une soupe succulente.
Les Allemands ne savent pas ou nous mettre. Il n'y a pas de place prévue pour nous ! On nous dirige enfin sur le camp de déportés qui se trouve de l'autre côté de la rivière (c'est toujours la Mülde) sur une colline.
Dans ce camp travaillent des juifs hongrois de six heures du matin à huit heures du soir, sans arrêt, ils sont sous les ordres d'un bagnard, un condamné de droit commun. Pour la plupart ce sont des intellectuels, des médecins, des chirurgiens renommés, des avocats célèbres, quelques commerçants, quelques Industriels. Tous sont juifs, et pour cela les Allemands les ont arrachés à leur famille et envoyés au bagne, ils n'ont jamais reçu de nouvelles des leurs qu'ils savent seulement déportés comme eux. Ces cerveaux sont maintenant des épaves : hâves et titubant, ils vivent dans la terreur, ils attendent chaque soir le lendemain avec angoisse, car ils savent que la chambre à gaz les engloutira un jour. Pour toute nourriture ils ont à midi un quart de jus de ruta et quelques pommes de terre cuites à l'eau, ils ont aussi deux cents grammes de pain. Réduits à travailler dur sans manger, ils n'ont plus que la peau sur les os. Beaucoup sont complètement abrutis, mais quelques uns luttent encore et soutiennent les autres. Malgré nos faibles ressources, nous leur donnons des biscuits, du chocolat, du pain, du sucre. Ils se cachent pour grignoter ces maigres cadeaux, ils en mettent dans leur poche malgré leur faim, pour les donner plus tard à ceux qui meurent dans leur baraque sans soins. Nous nous estimons bien heureux à côté de ces misérables qui ont tout perdu même l'espoir. Quand ils meurent à la tâche leurs bourreaux récupèrent leurs habits en loques et les transportent nus dans une charrette jusqu'à un trou creusé n'importe où dans un champ. Là, on les jette pêle-mêle dans la fosse, qui par les pieds, qui par les cheveux, comme des charognes, sans autres témoins que les quelques passants qui, par on ne sait trop quelle aberration de toute humanité, s'arrêtent pour ricaner et parfois crachent dans la tombe et y font cracher leurs enfants ...
Ce sont des choses vues et consignées sur un rapport officiel contresigné du colonel Lacroix que je rapporte ici pour que mes enfants sachent ce qu'est un nazi et de quoi sont capables ceux qui oublient que les hommes, sont frères...
Nous ne sommes restés que quelques heures en compagnie des déportés juifs, le temps pour les Allemands de nous trouver un cantonnement dans un coin de ce vaste camp.Il s'agissait de baraques du modèle courant. Elles ne comportaient pas de bloc sanitaire et nous dûmes donc nous contenter de feuillées, aménagées assez hâtivement semble-t-il, en contre-haut de la route sur laquelle défilaient les promeneurs du samedi. Ceux-ci ne s'attendaient sans doute pas au spectacle de ces postérieurs à l'air !... La poutre sur laquelle nous devions nous asseoir vint d'ailleurs à casser sous le poids de trop nombreux usagers dont certains chutèrent dans ce qu'il faut bien appeler la merde...
Décidément, nous n'aurons gardé de Colditz que de bien mauvais souvenirs.














 

Dimanche 25 Février

Les chiens aboient mais la caravane passe...
(proverbe arabe)

C'est avec un serrement de cœur que nous quittons Colditz à la pensée des pauvres gens que nous laissons derrière nous. Kerdreux n'a pu nous suivre à cause de sa fièvre. Il sera baladé d'infirmerie en infirmerie et nous rejoindra à Benndorf.

Nous partons sans avoir touché de ravitaillement. Les Allemands nous l'avaient promis pour hier soir, puis pour ce matin. Ils nous disent qu'on nous le fera suivre et que nous le toucherons en route. Comme nos réserves commencent à diminuer après huit jours de marche, nous ne sommes pas très "fiers'' . Néanmoins nous partons.

Nous entrons dans un bois touffu où la route est longée sur chaque côté par un layon forestier que nos sentinelles utilisent comme chemin de ronde. Nous passons devant la Kommandantur du IV D, un palace où, derrière les immenses baies vitrées, nous apercevons des paperasses entassées et quelques dactylos, il paraît que c'est là que va s'installer le général allemand avec son Etat-Major et aussi le bureau français. Nous toisons du haut de notre misère ce luxueux palais et notre colonne s'enfonce dans le bois.

Au moment de la halte, des camions de pain nous doublent : c'est le ravitaillement attendu. On nous met en colonne par cinq et on nous distribue un pain pour cinq et une boîte de singe pour dix. C'est une manière élégante de faire l'appel et nous avons su gré aux Allemands de cette formalité simple.

 En sortant du bois nous traversons Bad-Lausick, un village-rue, interminable, où nous défilons gaiement à la grande fureur d'un membre du parti dont l'intervention intempestive n'a pour résultat que de redoubler nos clameurs.

Encore un petit effort et nous voilà à Flössberg, à la sinistre mémoire : trou infect aux ruelles boueuses et à l'atmosphère empuantie par ses tas de fumiers nauséabonds, ce village rural restera pour nous le symbole de la sauvagerie saxonne. La fermière qui eut l'honneur d'héberger ce soir là mille officiers français, refusa à peu prés tout ce qu'on lui demanda : défense de faire du feu, défense d'allumer la lumière, pas de paille. Cette furie assista aux côtés du capitaine allemand à notre repas, c'est-à-dire qu'elle eut le cœur de contempler le défilé des mille PG, la gamelle à la main, devant le distributeur d'une maigre louche de soupe aux pois.

La nuit que je passais dans la grange fut épique. Sans lumière on ne voyait rien. Je réussis à trouver un poteau sur lequel j'arrimai mes affaires à l'aide des pitons que je porte toujours sur moi : ils se vissent très facilement et on peut accrocher pas mal de choses ainsi. Je fis ensuite mon lit, mais ma place se trouvait juste au changement de niveau du tas, car ce tas, dans lequel les gerbes n'étaient pas toutes dans le même sens, avaient dû fournir la paille à ceux d'en bas, de sorte que la surface n'était plus horizontale ni unie mais au contraire présentait une forte pente et des trous assez considérables. Toujours est-il que dans la nuit je tombai dans un de ces trous ! La paille me recouvrit en partie et la pente naturelle du tas fit glisser sur moi mon camarade voisin qui se trouva ainsi au-dessus de moi. Pendant ce temps je continuai à glisser avec ma paille vers l'avant, c'est-à-dire que le matin je me trouvai au dessus du vide avec la moitié du corps coincé sous mon camarade. Malgré cela j'ai dormi profondément...

C'est à cette étape que se place l'histoire du fait-tout. Au cours d'une halte horaire je découvris un fait-tout en alu abandonné dans le fossé. Je le récupérai et l'amenai jusqu'à l'étape. Là, après inventaire du contenu, nous le trouvâmes garni de sel et de margarine. Le casse-croûte du soir fit d'ailleurs appel à cette margarine. Le lendemain matin je posai mes affaires dans un coin pour aller au jus, et, quand je revins à ma place (* on appelait "ordonnances" les hommes de troupe français, prisonniers comme nous, qui étaient utilisés au camp par les allemands comme hommes de corvée et qui naturellement firent partie de notre colonne lors de l'évacuation du camp.) ce qui coupa court a l'histoire car nous n'avons pas voulu entrer en litige avec eux.
 
Lundi 26 Février
Vers toi, Terre promise...
(Cantique pour le temps de l’Avent)
 
 
Aujourd'hui petite étape de huit kilomètres qui nous mène à Benndorf. Nous voyons enfin le bout de la route.
Notre nouvelle résidence est un château du XVIII° siècle, genre rococo, sans style bien défini d'ailleurs, mais d'aspect cossu. Quoiqu'il soit de dimensions respectables, je le comparerais volontiers au château de Coat An Noz en Belle-lsle-en-Terre. Pour nous faire tenir à neuf cents là-dedans c'est du travail, ce n'est pas évident à priori i
Les locaux qui nous serviront de chambrées sont tirés au sort. Nous tombons assez bien : la pièce où nous allons nous installer est spacieuse et bien éclairée ; elle donne sur le palier du premier étage qui est desservi par un escalier monumental. Nous disposons nos affaires et nous explorons les lieux : il n'y a pas d'eau, ni de lumière, guère de paille non plus, aucun moyen pour faire la cuisine, pas de WC... Comme dégagements, un modeste parc derrière le bâtiment, si exigu que nous y tenons à peine pour l'appel.
C'est le château de la misère et de la faim.
C'est aussi la maison des courants d'air:
Nous sommes tellement fatigués que nous tombons sur notre maigre lit de paille et le sommeil nous emporte aussitôt

 






 




Souvenirs

Mon père  fut prisonnier de guerre des Allemands pendant cinq ans  à  l'Oflag XIII du côté de Nuremberg.
 


 


Ici, Fred est à gauche, nous sommes en 1940, avant sa capture
     en 1940, avant sa capture
Fred est le deuxième en partant de la gauche, toujours avant sa capture
     toujours avant sa capture
Ici, Fred est à gauche, nous sommes en 1940, avant sa capture     photo prise avant sa capture
         
Fred est celui le plus à gauche
           
Fred est celui le plus à droite, ici à l'Oflag-13 de Nuremberg (son camp de prisonniers)  l'Oflag XIII de Nuremberg (son premier camp de prisonniers)Fred est le deuxième en partant de la gauche
           
Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous sommes ici à l'Oflag-13 de Nuremberg ou il avait été formé un orchestre de Français, mon grand-père étant un marrant, assis sur le piano, il joue le rôle de la chanteuse (à gauche)
Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous sommes ici à l'Oflag-13 de Nuremberg ou il avait été formé un orchestre

           

         
Voici ce que mon grand-père à écris au dos de celle-ci: "L'équipe de choc : de gauche à droite : Fanton, Hesnault, Rolland, moi, Texier, Déprad, Durand, Rivard"


5 JUIN 1940

Hoyerswerda-Elsterhorst : 5 kms à pied

Total du 20 mai au 5 juin :
60 kms à pied
224 kms en camion
1011 kms en train
= 1295 kms
(+quelques Kms en side-car...)



Ces jours là...

Du 5 au 8 juin
Percée des dernières lignes de défense françaises sur la Somme et sur l'Aisne.






HOYERSWERDA        

L'arrêt de 2 heures du matin se prolonge interminablement. Nous a-t-on abandonnés à notre triste sort ? Non, on ne veut pas tout simplement nous débarquer en pleine nuit, car lorsqu'il commence à faire clair, une sentinelle nous annonce que nous sommes à 500 mètres de la gare de débarquement ; le train se remet en route pour cette ultime étape et à 8 heures du matin de ce 5 JUIN, nous sommes rangés en colonne par cinq dans la cour à marchandises de la gare d' H0YERSWERDA.


ELSTERHORST-OLFALG IV D

Le camp qui nous est destiné n'est distant que de 5 kilomètres, et l'on prend pour le rejoindre de petites routes à travers champs, dernière promenade de longtemps. Un village traversé qui donne son nom au camp ELSTERHORST, puis un petit bois de sapin, une grand'porte qui s'ouvre, derrière c'est la captivité définitive.

              














 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 


 

 



 



 




 
                



 

 


 


              


 










 









































































































 



 



 













 

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